François Coum et Louis Hamet, anciens poilus du 19ème Régiment d’infanterie et prisonniers de guerre, partagent les mêmes souvenirs : le départ pour le front en gare de Brest, le baptême du feu, l’enfer de Maissin, la captivité en Bavière. Et une longue amitié.
À l’occasion du nouvel an 1962, François renouvelle ses vœux à son « vieux copain de misère ».
« Comment vas-tu depuis qu’on s’est pas vu ? »
Les petits-enfants qui grandissent, la maison neuve qu’il fait construire à Quimper « avec toujours notre charcuterie et boucherie », François se raconte. La visite chez Jean Lossouarn du 118ème « qui a beaucoup vieilli, ce n’est plus le jeune soldat de 1914. Nous parlons de toi et de la captivité ». Et de cette curieuse rencontre…
Retrouvailles avec l’ennemi d’hier
« L’année dernière, j’étais à Lourdes pour la troisième fois, alors tu vois je voyage et je compte aller encore cette année. J’aime beaucoup ces pèlerinages, il y a du monde de partout de tous les pays.
Et l’année dernière, j’ai trouvé sur une montagne de mille quatre cent mètres d’altitude, un allemand en pèlerinage, aussi il y avait beaucoup de bavarois.
Alors je l’ai questionné. Il avait mon âge, il avait servi dans l’infanterie et fait la bataille du 22 au 23 aout à Maissin. Il était très gentil.
S’il y avait eu un café sur cette montagne, on aurait trinqué ensemble. J’avais travaillé pas loin de chez lui en 1917 et il m’a proposé d’aller en touriste revoir le pays. J’aurais à boire et à manger chez lui pendant quelques jours, pas très loin d’Eichtatt.
En 1914, il n’aurait pas dit ça quand il avait son casque à pointe. Si en ce moment-là on nous aurait dit, dans quarante-sept ans vous allez vous retrouver sur une montagne en copain… Enfin, la vie est drôle ».
Baptême du feu pour François et Louis
8 aout 1914.
Le 19ème régiment d’infanterie, majoritairement composé de bretons recrutés dans les départements du Finistère, du Morbihan et des Côtes-du-Nord « débarque de ses trains fleuris » aux environs de Challerange (Ardennes) .[1]
François, Louis et les copains du 19ème marchent vers Sedan puis entrent en Belgique.
Le 22 aout, les dix régiments d’infanterie du 11ème Corps d’armée dont le 19ème, se heurtent aux troupes du général Von Schenck retranchées dans Maissin, bourg forestier des Ardennes belges. [2]. En appui, des deux côtés et parés pour le combat, le génie, l’artillerie, la cavalerie…
« Moins de trois semaines après la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, les deux armées passent à l’offensive. Des centaines de milliers de soldats, s’alignent de la frontière suisse au Brabant belge dans la chaleur de l’été. Du 20 au 24 août, la bataille des frontières fait rage ». [3]
Le samedi 22 aout au matin, le 19ème R.I en avant-garde de la division prend position dans les bois de Hautmont au sud de Maissin, on attend l’assaut.
« Vers midi, le chef de corps prend la décision d’attaquer le village malgré les consignes d’attendre l’appui de l’artillerie ». [4] « Le choc est des plus rudes. Les Allemands abrités dans les tranchées et couverts de nombreuses clôtures en fil de fer, essaient d’arrêter par des feux meurtriers la marche du régiment. Mais ils ne peuvent avoir raison du magnifique élan du 19ème qui enlève à la baïonnette le village de Maissin ». [5]
À une heure du matin, ce qui reste du village est repris par les allemands.
Sinistre comptabilité
Inventaire des blessés, des tués, des disparus. François et Louis sont officiellement déclarés prisonniers dès le lendemain dimanche 23 aout et laissés à leur sort. Lundi 24 : le 11ème Corps bat en retraite sur ordre de repli…
Pour la seule journée du 22 aout 1914 et sur l’ensemble du Front « pas moins de vingt-sept mille soldats français sont tués, deux fois plus que du côté allemand. C’est le jour le plus sanglant de l’histoire de l’armée française toute guerres confondues ». [6]
L’abbé Gérard curé de la paroisse témoigne … « Maissin et son territoire sont comme un immense calvaire sur lequel des milliers de jeunes gens souffrent, agonisent et meurent. Les mots me manquent tellement il est horrible. Partout des morts et des blessés. Sur la plaine devant Hautmont, les français sont si nombreux qu’ils paraissent tombés coude à coude.
À la route de Lesse, une longue lignée d’allemands entassés les uns sur les autres. Dans la rue, près des maisons en ruine, dans les vergers, français et allemands sont entremêlés. La crête du Spihoux est couverte d’allemands mais aussi de français tombés dans des corps à corps d’une violence inouïe. En fin de cette journée du 23 aout, un allemand me disait : Hir groos bataille, malheur, malheur, la guerre ! » [7]
« Je suis mieux ici qu’à la guerre »
Louis Hamet est interné au camp d’Eichstatt en Bavière puis à Ingolstadt au Fort Orff en octobre 1914, à une vingtaine de kilomètres au nord. Début mars 1915, quatre cent prisonniers tirés au sort sont transférés au château de Wulzburg, sur les hauteurs de Weissenbourg.
Et Louis fait partie du lot. Évacué le 15 septembre 1915 puis à nouveau dirigé sur Eichtatt, il retrouve François transféré de Wulzburg la semaine précédente.
Finalement, les conditions de captivité ne sont pas si mauvaises…
Les colis que Louis reçoit régulièrement de ses parents avec qui il correspond assidument, le maintiennent entre « bonne santé » et « santé parfaite ». « Pour le moment je suis aussi bien portant qu’avant la guerre. J’ai comme poids 79 kilos ce que à la caserne j’avais 73,5 kilos. Ne m’envoyez plus de pain d’épice ni d’alcool de menthe. Saucisses et morceaux de lard seraient préférables ». [8]
Quelques baisses de moral bien sûr, « Ici je m’ennuie car la captivité est longue ». Mais Louis reste lucide, « Je suis au moins tranquille et je me trouve plus en sureté. Donc beaucoup plus heureux que beaucoup de mes camarades au danger de leur vie ».
« Du fléau qui règne, j’en ai vu assez »
22 aout 1915, sombre anniversaire. Maissin et ses cauchemars remontent à la surface.
« Il y a un an, au moment où je vous écris, ma vie n’était pas en sureté comme je le suis à présent et j’ai eu bien de la chance d’y échapper. Et quand j’y pense, je me trouve heureux où je suis.
Du fléau qui règne, j’en ai vu assez, je ne tiens pas à y retourner. Ne vous faites pas de bile, je suis mieux ici qu’à la guerre. C’est triste ainsi que toute la jeunesse qui est tombée dans cette horrible guerre, c’est douloureux. Et dans quel état est le pays, je le vois d’ici et vivement la fin ».
Retours au pays
La fin, la voilà.
Libéré puis rapatrié le 26 décembre 1918, Louis est sans véritable répit incorporé au 71ème R.I en garnison à Saint Brieuc et « reprend sans restriction d’aucune sorte le mêmes droits et les mêmes obligations que (ses) camarades de même classe et de même catégorie » (circulaire du ministère de la Guerre).
L’armistice du 11 novembre 1918 ne marque pas la fin des hostilités, seulement la suspension des combats dans l’attente d’un éventuel traité de paix. La démobilisation des cinq millions de soldats français s’opère et s’étire, interminable, jusqu’au 14 juin 1920.
Encore faut-il expédier les affaires courantes. Le 21 avril 1919, Louis part donc pour l’Alsace, territoire germanisé sous tension à reprendre en mains. Au cours de l’été 1919, le soldat Hamet rentre enfin à la maison.
Les premiers mois de captivité de François restent mal connus, les archives ne livrant que peu d’informations. Il est interné au château de Wulzburg, peut-être dès mars 1915 au nombre de ces quatre cent prisonniers évacués de Fort Orff.
Le 7 septembre 1915, départ de la forteresse bavaroise pour Eichtatt.
Un accord entre belligérants signé le 15 janvier 1916 permet aux prisonniers malades et blessés d’être internés en Suisse, bénéficiant ainsi de conditions de détention adaptées à leur pathologie. Souffrant de troubles cardiaques, François est transféré près de Montreux à l’hôtel Carlton de Villeneuve jusqu’à sa libération définitive.
Rapatrié le 5 janvier 1919, son statut de prisonnier de guerre ne le dispense pas d’honorer ses obligations militaires, dès son retour en Bretagne. François retrouvera son foyer le 6 aout suivant, Clarisse son épouse qu’il n’a plus revu depuis l’été 14, Marie sa fille bientôt cinq ans et qu’il ne connait pas…
Classé « réformé temporaire », voilà le réserviste à nouveau déclaré « bon pour le service » le 18 mars 1924… dans l’éventualité d’un nouveau conflit armé. Ainsi en a décidé la Commission de réforme suite à une amélioration de son état de santé.
16 janvier 1962…
« Enfin mon cher Louis, le temps passe. Tu vois, je suis déjà un vieillard de soixante-et-onze ans. Alors mon vieux copain, je finis ma lettre en te disant au plaisir de se revoir. Je te serre cordialement la main et aussi à toute ta famille et bonne année. Je serais très content d’avoir de tes nouvelles. François Coum, ton vieux copain de misère ».
Repères biographiques
Louis Marie Mathurin HAMET, cultivateur.
Né le 30 septembre 1891 à Plérin (Côtes d’Armor)
Marié le 25 octobre 1919 à Plérin avec Joséphine Marie Louise Hamet (1896-1969)
Décédé le 10 aout 1967 à Saint Brieuc.
François Marie COUM, charcutier.
Né le 18 octobre 1890 à Plouguin (Finistère).
Marié le 17 avril 1914 à Brest (Finistère) avec Clarisse Caroline Marie Abalain (1886-1932)
Décédé le 8 novembre 1968 à Quimper (Finistère).
Sources
Louis Hamet :
Fiche matricule : Archives départementales des Côte d’Armor. Recensement militaire. Bureau de Saint Brieuc, Classe 1911. Matricule 2181. 1 R 1304, vue 278/679.
Livret militaire, correspondances, photographies : Collection particulière.
François Coum :
Fiche matricule : Archives départementales du Finistère. Registres militaires, Bureau de Brest, Classe 1910. Matricule 692. 1 R 1427. Vue 266 à 268.
Livret militaire, photographies : Collection particulière..
« Le 22 août 1914, jour le plus sanglant de l’histoire de France ». France Info https://www.francetvinfo.fr/societe/guerre-de-14-18/le-22-aout-1914-jour-le-plus-sanglant-de-l-histoire-de-france_606567.html
« La bataille de Maissin- Aout 1914 ». Chemins de Mémoire. https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/la-bataille-de-maissin-aout-1914
« Historique 19ème Régiment d’infanterie pendant la guerre 1914-1918 ».
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6216906d
« Journal de marche et des opérations du 118ème R.I ». Mémoire des Hommes, 26 N 682/10. https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e0052794b5ba8c67/52794b5bab220
« Le calvaire des habitants du village ardennais de Maissin ». Médecins de la Grande guerre. https://www.1914-1918.be/histoire_maissin2.php
« La bataille de Maissin ». Wikipedia
https://fr.m.wikipedia.org/w/index.php?title=Maissin_(Belgique)&diffonly=true#La_bataille_de_Maissin
Voir aussi…
https://mobile.abp.bzh/article.php/le-journal-d-un-survivant-de-la-bataille-de-maissin-49356
Illustrations / Crédits photos
Musée Mathurin Méheut, Lamballe. « L’exécution militaire », aquarelle, 1915 |
https://www.musee-meheut.fr/histoire-du-musee
Louis Hamet, François Coum : Collections privées.
Le village de Maissin, avant la bataille. « Panorama de Maissin ». Source : Collection particulière https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/la-bataille-de-maissin-aout-1914
Camp d’Eichtatt,, « Avant la soupe du soir ». Universitatsbibliothek Tubingen https://histoiresdepoilus.boitasite.com/pdf/FoXIIa1133_qt.pdf
Prisonniers de guerre au travail, Camp de Fort Orff, Ingolstadt : Forderverein Bayerische Landesfestung Ingolstadt e.V. https://www.festungingolstadt.de/befestigungen/polygonale/aeusserer_ring/fortwerke/fortorff
Aout 14, sur le départ. Awans-mémoire-et-vigilence.over-blog.com
Voir aussi...
« Le journal d’un survivant de la bataille de Maissin » :
https://images.app.goo.gl/qD6Gk749bKw1zpX39
Notes
[1] « Historique 19ème Régiment d’infanterie pendant la guerre 1914-1918 ».
[2] 24 000 fantassins français, 28 000 allemands.
[3] « Le 22 août 1914, jour le plus sanglant de l’histoire de France ». Ariane Nicolas, Francetvinfo.fr
[4] « La bataille de Maissin », Wikipedia
[5] « Historique 19ème Régiment d’infanterie pendant la guerre 1914-1918 ».
[6] Franctvinfo.fr
[7] « Le calvaire des habitants de Maissin ». Patrick Loots, Médecins de la grande guerre.
[8] 1er octobre 1916.
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