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6- L’empoisonneuse d’Ercé-en-Lamée. Faits divers et généalogie

Introduction

L’affaire ne traîne pas… Le lendemain du décès, veille des funérailles, la jeune veuve est…

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L’affaire ne traîne pas…

Le lendemain du décès, veille des funérailles, la jeune veuve est reçue par le notaire familial, Pierre Perrin l’accompagne. Maitre Lepennetier expose les modalités de la succession. «Elle ne dit pas un mot, seul son frère parlait ».

À l’issue de l’inventaire, formalité fixée au samedi suivant 1er février, il reviendra à la Clémentine : L’ensemble du mobilier, compris la batterie de cuisine, meubles, linges, vêtements, matériel agricole, bétail, réserves diverses, l’argent comptant et les créances. Les pailles, foins et fumiers de la ferme de Fercé. La moitié des foins, pailles et fumiers d’Ercé.

La ferme de la Tricotière en Fercé et quatre hectares de terre, la maison de la Mennerie et son courtil, la seconde maison de la Mennerie. Le tout de belle valeur, soit près de dix-sept mille francs.

À sa belle-mère Julienne Brard, le quart de l’actif héréditaire, le rachat de la cession de la rente et de l’usufruit. La moitié des foins, pailles et fumiers d’Ercé. Des biens qui n’atteignent pas les six mille francs…

En attendant, Pierre rend visite à l’une des sœurs Raimbaud, laquelle rapporte : « Il m’a dit qu’à cette heure on enterrait son beau-frère Bretagne. Je lui dis que c’était malheureux. Il me répondit  ‘’ Ce n’est pas gênant ma sœur n’est pas à plaindre, elle a tout le bien ’’. Je repris : ‘’ Elle porte peut-être un héritier ? ‘’Ah mais non j’en suis sûr ’’ reprit-il. Ce jeune homme paraissait très gai ».  

Samedi 1er février 1902, curieux inventaire. Me Lepennetier :  « La veuve ne disait pas un mot, baissait la tête. Seuls sa mère et son frère parlaient. L’inventaire finit vers quinze heures, je m’apprête à partir. Les Perrin insistent pour faire le partage de la communauté et de la succession. Je leur dis que cela entrainerait des frais inutiles au cas où un enfant venait à naitre. Passant outre mon conseil, l’expertise faite, le partage fut signé le soir ».

Le mercredi suivant, Clémentine quitte définitivement le domicile conjugal.

Le mobile ?

Pour l’oncle Gaigeard, tout est limpide . « … Quant au mobile de l’empoisonnement, je crois qu’il peut être attribué à l’intérêt. Le défunt, en effet quelques jours avant de mourir, avait fait donation de ses biens à sa femme en pleine propriété. Et comme cette donation était révocable comme toute donation entre époux, la bénéficiaire a voulu s’assurer la possession irrévocable des biens à la mort du donateur »

Clémentine s’en défend : « Son bien ne m’a jamais tenté et ce n’est pas parce qu’il m’a fait donation que je l’ai empoisonné. C’est parce qu’il était toujours après moi, qu’il ne me racontait pas ses affaires alors qu’il les racontait aux autres. Il parlait à tout le monde, il ne me répondait même pas quand je lui adressais la parole. Je l’ai empoisonné parce que je voulais rester seule. Parce qu’il m’avait battue quatre fois, il ne me disait pas l’argent qu’il dépensait et la vie qu’il menait. Il disait qu’on aurait vendu mon bien pour payer ses dettes. Il ne voulait pas vendre ses biens de la Tricotière ».

Le juge d’instruction s’étonne de l’attitude de Clémentine au cours du premier interrogatoire, enfermée dans un mutisme total.

« Je n’ai pas parlé de tout cela parce que vous me faisiez peur. Vous aviez l’air trop brusque je n’ai pas osé. Mon dieu, que je regrette, je ne l’aurais jamais fait s’il m’avait totalement bien aimé. Si sa mère ne m’avait pas traité comme elle l’a fait, cela ne serait pas arrivé.  Si Jean-Marie avait raconté ses affaires et que je n’avais pas rencontré ce chineur, ce malheur ne serait pas arrivé. Je ne l’ai pas empoisonné pour me marier ensuite avec un autre ».  

La piste d’une complicité extérieure

« Tous les habitants du village de Pussac ont dit que Clémentine Perrin passait pour avoir des relations intimes avec un nommé Jean Paris avant son mariage » (Nathalie Étendard, témoin)

« Pendant les quatre mois que Paris est resté chez nous, chaque fois qu’il rencontrait Clémentine Perrin, ils s’appelaient réciproquement mon petit loup. Mais en présence du monde, il paraissait ne pas lui porter plus d’attention qu’à une autre jeune fille. Lorsque nous lui parlions de mariage avec la fille Perrin, il répondait qu’elle était trop riche, que les époux Perrin ne consentiraient jamais à lui donner leur fille » (Marie Dubois, épouse Hogrel, témoin )

Interrogatoire de Jean Paris, 24 ans, garçon meunier, soldat au 41e régiment d’infanterie à Rennes :

« Je connais Clémentine Paris depuis mon entrée chez Noël à Ercé-en-Lamée. Je servais chez lui comme garçon meunier et mon service me conduisait souvent à Pussac chez les époux Perrin. Je jouais aux cartes le dimanche avec son frère et d’autres. Je n’ai jamais eu de relations intimes avec Clémentine Perrin, elle me plaisait bien comme les autres d’ailleurs.

Elle a une certaine fortune, je ne pouvais pas l’épouser alors que je n’ai rien. Je ne l’ai jamais demandé en mariage. Elle ne m’a jamais fait d’avance. Si elle m’appelait mon petit loup, cela ne tirait pas à conséquence.

Je suis parti de chez Noel où j’ai servi pendant neuf ans. J’ai ensuite servi chez Hogrel, cultivateur à la Lande de Pussac, j’ai moins fréquenté la maison Perrin. J’y suis resté quatre mois jusqu’en juin 1901 date de mon entrée au service militaire. Je ne l’ai pas revu depuis et je ne lui ai pas écrit. J’affirme ne jamais avoir poussé Clémentine à empoisonner son mari ».

L’hypothèse de la complicité de Jean Paris est bien vite balayée par les arguments imparables de Clémentine qui se fait bien comprendre : 

« Je n’ai jamais été la maitresse de personne et personne ne m’a poussé à commettre ce crime. Je n’ai jamais dit que Paris m’avait engagé à empoisonner mon mari. Si Paris était coupable, je l’accuserais ! ».

« Je vous en demande pardon de ma faute »

30 juin 1902. Le juge chargé de l’affaire clos l’instruction. Le dossier est communiqué au Procureur de la République.

2 et 3 juillet. Tribunal de Redon. Réquisitoire définitif du parquet par le Procureur de la République et ordonnance de renvoi devant la Chambre de mise en accusation.

9 juillet. Arrêt de la Chambre de mise en accusation : « Attendu qu’il existe contre l’inculpée des charges suffisantes d’avoir attenté à la vie du nommé Bretagne Jean-Marie, ordonnons que les pièces de la procédure soient transmises sans délai à Monsieur le Procureur Général près la Cour de Rennes.

La Cour dit qu’il y a lieu de renvoyer l’inculpée devant la cour d’Assises du département d’Ille-et-Vilaine. Ordonne que l’inculpée soit prise et appréhendée au corps et conduite à la Maison de justice de Rennes.

17 juillet. Maison d’arrêt de Redon. Clémentine prend connaissance par voie d’huissier de l’acte d’accusation. 

20 juillet. Ordre de conduite en chemin de fer pour la gare de Rennes.

21 juillet. Maison d’arrêt et de Justice de Rennes.

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Clémentine est vêtue de jour-là d’une chemise de toile blanche, d’un corsage noir, d’un jupon noir, d’un tablier noir, d’une paire de bottines, d’un fichu noir, d’une pèlerine noire et d’un bonnet de tulle blanc.

24 juillet. Cabinet du président de la Cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, dernière audition. Clémentine déclare ne rien vouloir ajouter ni retrancher à ses déclarations. Maître Grazais assurera sa défense.

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3 aout : Billet de Clémentine adressé au Procureur général :

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« Monsieur le Procureur generale Permetez moi de vous esprime ma douleur ou je me trouve en se momen ci je vais comparaitre au assice dans se mois ci au sujet de la faire d’érce-en-laméee Je regrette beaucoup mon regret sinsére Veillez donc Mr le Procureur être indulgent sur mon jeune âge Je ne comprenais pas l’état du mariage Je vous en demande le pardon de ma faute car j’aurais le regret pour ma vie Veillez agrée Mr le procureur l’hommage de mon plus profond respect Clémentine Perrin a la maison d’Arrêt a Rennes ».

Comme une bouteille à la mer, un billet écrit de la main de Clémentine et destiné à son ami Jean Paris est découvert le 16 aout suivant dans le chemin de ronde de la maison d’Arrêt. Le gardien-chef en informe illico le Procureur général.

« J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint un billet que la nommée Perrin Clémentine, veuve Bretagne a fait jeter samedi soir dans le chemin de ronde par une de ses codétenues. Ce billet trouvé par une des sentinelles m’a été remis par le chef de poste. »

(orthographe normalisée):

« Monsieur Jean,  Je crois que tu es en peine de mes nouvelles, je vais t’en rendre compte de mes tristes nouvelles. Tu sais que ce n’est point pour s’entrevoir, tu sais que je suis condamnée pour toute ma vie. 

C’est bien triste pour moi car je ne peux pas comprendre comment j’ai pu faire ce malheur-là.

Tu sais comme on a passé notre vie ensemble tous les deux, jamais tu ne m’as donné de mauvaises paroles. Ils ont voulu te mettre dans ce malheur, mais comme tu le sais bien je t’ai toujours soutenu, comme il est bien vrai que tu ne m’as jamais rien dit.

Je crois que tu n’as jamais pensé à ces choses-là, tu sais que je suis bien triste pour le moment et je ne le serais toute ma vie. Je te prie, ne te fais pas de chagrin pour moi, je pense de jamais de s’entrevoir. 

Quel chagrin pour ma famille et pour la tienne, comme ils ont voulu te mettre dans ses affaires-là. Que tu devais être en peine comme se serait (…) pour toi. C’est que toi qui était innocent de tout ça, je te prie pense à moi et je pense à toi.

Tu sais, je penserais à toi toute ma vie, quel chagrin que tu dois avoir pour moi car j’ai toujours pensé à toi, depuis que je suis dans ces maisons-là.

Je finis ma lettre en te souhaitant toute la chance que tu peux avoir, car moi je n’en ai jamais eu.

 Il y en avait une qui était avec moi, qui disait que si elle avait été acquittée, qu’elle aurait été te voir à la caserne pour te parler de moi, mais elle a été condamnée à dix-huit mois. C’est un grand malheur car tu aurais appris de mes nouvelles. Elle est toute jeune, elle m’a bien consolé.T u sais comme on aime, on aime.

Je te prie de m’écrire si tu veux et de mettre ta lettre dans le nom de Pierre Perrin.  Ne mets rien de trop. Je serai contente de recevoir de tes nouvelles car je pense toujours à toi et je penserais toujours.

Voici mon adresse. Clémentine Perrin À la Maison d’arrêt Rennes ».

Sources :

Archives départementales d’Ille-et-Vilaine : 2 U 1321, dossier de procédure, Clémentine Perrin.

Crédits :

Cour d’assise de Rennes. Généanet. https://www.creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/deed.fr

Palais de Justice de Rennes. archivesrennes. https://www.creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/deed.fr

Maison Centrale de Rennes. archivesrennes. https://www.creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/deed.fr

Maison centrale de Montpellier. archivesmontpellier.https://creativecommons.org/licenses/by/2.5/

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